Procès sur l’assassinat du journaliste camerounais Martinez Zogo : "Qu’on ouvre enfin le débat et qu’on sache qui a fait quoi dans cet acte barbare”

3 mai 2024 dans Liberté de la presse
Douala

“Jean-Pierre Amougou Belinga, prestataire de services. Il gagne les marchés, vous comprenez ? Et après, Motaze lui donne les subventions. Ligne 94, ligne 65. C’est Motaze. Motaze, tu vas partir en prison dans ce pays-ci ! Je ne vais pas vous laisser, vous allez seulement me tuer. Vous n’avez qu’une seule chose à faire : c’est de finir avec moi.”

Voix virulente, adresse aux auditeurs, ton corrosif. Dans cette dernière chronique aux relents prémonitoires, le journaliste camerounais Martinez Zogo s’attaque à l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et le ministre des Finances Louis-Paul Motaze. Deux personnalités qui font partie des 17 impliquées dans l’affaire Martinez Zogo, qui tient en émoi tout un pays, sous le choc.

Le 22 janvier 2023, le présentateur vedette de l’émission “Embouteillage” diffusée sur la radio Amplitude FM a été retrouvé mort, près de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Martinez Zogo, 50 ans, avait été enlevé cinq jours plus tôt devant un poste de gendarmerie. Son corps a été sauvagement torturé et mutilé par un commando des services de renseignements. Selon une enquête de Reporters Sans Frontières (RSF) qui a accédé à des procès-verbaux des auditions des membres du commando, les médecins légistes ont relevé près de 30 lésions et conclu dans leur rapport d’autopsie que le décès du journaliste, identifié par test ADN, est “consécutif aux multiples violences subies.” “Dans leurs déclarations, les membres du commando sont unanimes pour décrire une opération qui visait à ‘corriger’ et à ‘effrayer’ le journaliste,” poursuit l’organisation.

Plus d’un an après les faits, le chemin de la justice semble long. Une enquête avait été ouverte par la gendarmerie mais elle a été remplacée par une commission d’enquête mixte police-gendarmerie initiée par le président Paul Biya et dépendante du tribunal militaire de Yaoundé. Les dix-sept personnes soupçonnées sont accusées d’assassinat ou complicité d’assassinat, y compris Justin Danwé, directeur des opérations du service des renseignements camerounais, la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE) qui "n'a pas nié que c'est lui qui a organisé l’opération." Elles ont été entendues pour la première fois lors d’une audience spéciale le 25 mars dernier. Un procès qui a été ajourné quelques heures plus tard et reporté au 15 avril puis au 6 mai.

Maître Calvin Job, avocat de la famille de Martinez Zogo confie à IJNet l’impossibilité de se préparer à la reprise de ce procès  : “Mon état d'esprit est celui de quelqu’un qui n’a pas le dossier. Je vais à l’aventure, tellement on ne sait pas ce qu’ils vont ressortir. C’est un total inconfort mais on a une expérience et on compte dessus.” En effet, le 15 puis le 29 avril, les magistrats sont restés sur leur position selon laquelle les avocats de la défense n’ont droit à consultation sur place du dossier. Ce qui a le don de révolter maître Calvin Job : “On est dans une procédure où des accusés encourent la peine de mort ou la prison à vie et je dois me contenter d’une consultation de dossier alorsqu’on pourrait me faire une copie au nom du droit de la défense ?” L’avocat va plaider à nouveau pour la communication du dossier et pas seulement pour simple consultation. Pendant que ce procès médiatique aux multiples rebondissements tourne autour de la forme, les questions demeurent. La défense demande “qu’on ouvre enfin le débat et qu’on sache qui a fait quoi dans cet acte barbare.” 

Arsène Salomon Mbani Zogo dit Martinez Zogo a intégré Amplitude FM en 2011. “Dans son émission, il abordait tous les sujets de la société. Il avait une particularité :  dire tout haut ce que les gens pensent tout bas”, raconte Charlie Aimé Tchouemou, rédacteur en chef de la radio. Le journaliste assassiné avait fait de son cheval de bataille les affaires de corruption et de détournements d’argent public. Si cela l’a rendu populaire auprès des auditeurs qui l'avaient surnommé “la voix des sans voix,” cela lui a aussi valu convocations, plaintes, menaces, etc. Son émission dérangeait mais, selon son rédacteur en chef, c’était là sa conception du journalisme. Il avait d’ailleurs passé deux mois en prison pour diffamation en 2020. Comme Martinez Zogo, le journaliste anglophone Anye Nde Nsoh a été tué le 7 mai 2023 à Bamenda alors qu’il couvrait les violences entre forces gouvernementales et groupes armés séparatistes.

Le Cameroun, petit pays d’Afrique centrale, voisin du Tchad, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon et du Nigéria se classe à la 130e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF publié ce 3 mai 2024. A ce jour, quatre journalistes sont encore détenus en prison. C’est donc toute une profession qui attend, comme la famille de Martinez Zogo ainsi que le public, que le procès avance afin que les coupables soient reconnus, et que justice soit faite.


Photo de Edouard TAMBA sur Unsplash